Seiryoku zenyo :
Pour un Japonais, Seiryoku saizen katsuyô (formule originelle que l'on trouve souvent modifiée en Seiryoku zen.yô) est avant tout une expression compacte et assez hermétique. Les caractères sont simplement juxtaposés et c'est dans le courant de la lecture que ce forme le sens, à la manière chinoise. L'effet de la calligraphie est d'abord un impact esthétique, au même titre qu'un tableau, avant de faire référence à un héritage culturel. Le sens vient ensuite, chargé du contenu émotionnel propre à ce mode d'expression, volontairement choisi par Jigorô Kanô pour donner plus de force à son message.
SEIRYOKU : force motrice du corps
et de l'esprit, l'énergie vitale. (réalisation de soi)
SAIZEN : ce qu'il y a de mieux dans
l'acception juste, bien (zen)
contraire du mal, (haku), ce qu'il y a de plus adapté, ce que l'on peut
faire ou obtenir dans la limite du possible ou de nos capacités.
KATSU YO : utiliser dans un but pratique, utiliser de
façon à obtenir un résultat, littéralement mettre
ou garder en mouvement (donner vie) et utiliser. De là, on proposera
une traduction que chacun est libre de nuancer…
SEIRYOKU SAIZEN KATSU YO : la bonne
exploitation de l'énergie
SEIRYOKU ZEN YO : utilisation habile
et bon usage de l'énergie.
Yves Cadot, Judo Magazine 180, oct. 1999
Remarque :
C'est le "bon" usage de l'énergie
et non pas le "meilleur" usage de l'énergie. Il y a donc une
idée éthique et
pas seulement pragmatique. C'est le comportements à adopter pour rendre
le monde humainement habitable. La recherche de l'idéal de société
et de conduite de l'existence.
Cette notion peut être exprimé de la manière suivante :
"L'important c'est de se donner
à fond jusqu'au bout c'est à dire essayer,
de ne jamais perdre espoir et en toutes circonstances, de faire
de son mieux pour ne pas avoir de regret, avoir foi en ce que l'on fait
et rechercher inlassablement à s'améliorer (kaizen)."
Le mot efficacité recouvre 2 sens :
Sens 1 |
Sens 2 |
Conclusion |
Effet produit = Physique
X Volonté X Technique effet
produit |
- d'ordinaire : |
|
L'efficacité est définie ici comme le produit
du Physique, de la Volonté
et de la Technique. Augmenter l'efficacité c'est donc augmenter au maximum le Physique, la Volonté et la Technique. |
L'efficacité est définie ici comme le rapport entre l'effet
produit et l'énergie déployée. Augmenter l'efficacité c'est donc augmenter au maximum l'effet produit tout en minimisant l'énergie déployée. |
En jùdô, l'efficacité n'est donc pas forcement d'atteindre l'objectif fixé (sens 1) mais d'obtenir le bon effet produit par rapport à l'énergie déployée par une action adaptée (sens 2). Ne rien faire d'inutile.Autrement dit : "L'important c'est de se donner à fond jusqu'au bout c'est à dire essayer, de ne jamais perdre espoir et en toutes circonstances, de faire de son mieux pour ne pas avoir de regret, avoir foi en ce que l'on fait et rechercher inlassablement à s'améliorer (kaizen)." |
Dans le sens 1, trois écueils sont à éviter en matière
de compétition :
- la compétition est la finalité du jùdô
- en compétition la réussite est la finalité
- la compétition est nocive aux pratiquants
En fait, si la réussite en compétition est une finalité
alors la compétition est nocive aux pratiquants.
- en cas d'échecs répétés : il y a une trop grande
baisse de l'estime de soi
- en cas de réussites répétés : il y a un trop grand
hausse de l'estime de soi
- en cas de changements réguliers de résultats : il y a un effet
de trouble
de l'humeur
Dans les deux cas, un caractère narcissique
risque de se développer.
"[...] dans le Randori, nous apprenons à l'élève à agir toujours selon le principe fondamental du jùdô, sans qu'il ait à considérer combien son adversaire peut lui sembler physiquement inférieur ou même s'il peut facilement par la simple force triompher de l'autre. S'il agit contre ce principe, l'adversaire ne sera pas convaincu de sa défaite, qu'elle qu'ait été la force brutale qu'on ait employée contre lui."
"Toute victoire qui n'entraine pas la conviction et la transformation du partenaire, n'est qu'une appatence et une illusion. Vaincre sans convaincre n'est rien."
Le bon usage de l'énergie : une condition sine
qua non de notre existence :
Notre espèce a ceci de particulier que nous sommes très mal équipés
physiquement (moins endurant, moins fort, moins rapide). Pour survivre, l'humain
a été obligé d'optimmiser ses efforts afin d'égaler
et/ou surpasser les autres espèces. Le bon usage de l'énergie
est donc une des raisons principales de notre survi en tant qu'espèce.
Utilisation de l’énergie (le principe caché
de l’efficacité) :
On le sait, l’une des maximes mises en avant par Jigorô Kanô était Seiryoku Zen Yo (le
bon emploi de l’énergie). Concept philosophique, explication technique
ou mélange des deux ? Cette calligraphie célèbre pose la
question de l’efficacité.
Traduit rapidement, par « minimum d’énergie, maximum d’efficacité
», le concept Seiryoku Zen Yo interroge parfois les pratiquants. S’agit-il
d’un encouragement à une forme d’esthétisme, d’une
sorte de credo encourageant à faire le jùdô
« sans effort », où uniquement avec des techniques
très minimalistes comme le balayage ? Sûrement pas. En revanche,
il indique une direction d’étude : trouver le moyen d’exploiter
son énergie constamment de la bonne façon, comme l’exprime
plus clairement l’une des premières versions de la maxime de Jigorô Kanô Seiryoku Saizen Katsuyo (la bonne
exploitation de l’énergie).
En accord dans ce sens avec les théories les plus modernes de l’apprentissage
du sport, ce concept suggère au premier chef de suivre une démarche
d’économie dans l’action, pour progresser en efficacité.
Comment cette économie peut-elle produire de l’efficacité
? Raisonnons par une démonstration inverse : sans éducation préalable,
un débutant à qui on demande de projeter un partenaire n’aura
aucune notion des éléments à mettre en place. Si on lui
demande d’imiter une technique
observée, il mobilisera probablement une grande puissance de bras et
de torse pour parvenir au résultat demandé. Contre un adversaire,
à moins de disposer d’une réserve énorme de force,
il ne parviendra pas à projeter. De plus, cette débauche d’énergie
sera sanctionnée d’une fatigue (konchin) rapide. C’est le
constat observé de façon générale dans l’apprentissage
sportif : le débutant mobilise trop d’énergie pour un résultat
médiocre et se fatigue (konchin) vite. En revanche ce même débutant,
auquel on va progressivement apprendre à déséquilibrer
en utilisant son poids de corps dans le déplacement réussira à
projeter avec plus de facilité.
C’est ainsi que le principe d’économie peut nous guider :
la réussite technique
doit passer par l’utilisation juste des lois du mouvement et d’une
bonne mécanique posturale combinée : mouvement, distance, rythme,
coordination, placement de corps… Nous avons alors la sensation de réussir
vraiment une projection, sans engager excessivement notre force, notre énergie
personnelle.
L’intérêt de cette démarche étant de développer
une maîtrise de plus en plus élaborée de ces principes pour
parvenir à une efficacité supérieure à celle de
la simple puissance musculaire (même correctement exploitée) et
qui pourra survivre au déclin de nos qualités physiques –
et donc garantir au jùdôka de pouvoir « vieillir »
et persévérer dans sa discipline en gardant le plaisir de pratiquer.
Du physique au spirituel :
On pourrait s’arrêter là, mais ce serait dommage. Comme ce
fut le cas pour Jigorô Kanô lui-même, semble-t-il, la
puissance de ce concept peut nous interpeller et nous influencer positivement
tout au long de notre pratique. C’est ainsi qu’on en reconnaît
la trace dans de nombreuses attitudes très « jùdô»
: est Seiryoku Zen Yo le balayage habile, ou la très bonne exploitation
de l’esquive du jùdôka plus âgé qui sait ne
plus pouvoir opposer la force à la force, ou qui n’a plus les moyens
physiques du Morote
Seoi Nage de sa jeunesse, est Seiryoku Zen Yo l’attitude pleine de
calme de la plupart des grands compétiteurs qui ont appris à ne
pas disperser une once de leur énergie en manifestations parasites…
Et on voit par là de façon évidente à quel point
une bonne éducation de départ aux principes de base permet au
jùdôka de cheminer vers la maîtrise de son propre comportement…
Et à quel point, à l’inverse, le défaut de formation
de base peut être préjudiciable à l’évolution
future du pratiquant et de l’homme.
Jusqu’où peut donc nous emmener ce principe de « bon
emploi de l’énergie » ? Jusqu’à son aboutissement
: dans l’emploi que nous faisons de notre vie même, bien ou mal
employée. C’est, encore une fois, la démarche d’approfondissement
accomplie par Jigorô Kanô, passionné dans son jeune
âge par l’étude des situations d’attaque et de défense,
puis par leurs implications psychologiques, morales, spirituelles. « Une
bonne exploitation de l’énergie », c’est finalement
la recherche d’un accomplissement total des potentialités de chacun,
d’une réalisation complète en tant qu’être humain.
Humaniste convaincu ayant consacré sa vie à l’éducation
et aux autres, Jigorô Kanô pensait que cette réalisation
passait par la prise de conscience finale de la nécessité d’être
utile aux autres et à la société. C’est le point
où Seiryoku Zen Yo (le bon emploi de l’énergie) rejoint
Jita Yuwa Kyoei (entraide et prospérité
mutuelle), faisant du jùdô
un grand projet humaniste universel, une voie individuelle.
Le bon usage de l'énergie est un concept pragmatique.
L'égalité :
L'égalité (l'égalité de traitement) n'est pas compatible
avec le bon usage de l'énergie. En effet, l'équité
(l'égalité des chances) permet une discrimination positive adaptant
les conséquences de la loi ou la règle qui sont des outils d'application
générale limitées aux circonstances et à la singularité
des situations et des personnes (spécificités historiques, socioculturelles
liés aux passés et cultures individuels).
- "Il n' y a pas pire injustice que de traiter de manière
égale des choses que l'on sait inégales"
Aristote
Remarque :
On peut voir une opposition entre "le bon usage de l'énergie (seiryoku
zenyo)" et "l'entraide et
la prospérité mutuelle (jitai kyoei)".
D'une part, "l'entraide
et la prospérité mutuelle (jitai kyoei)" pourrait enrayer
"le bon usage de l'énergie (seiryoku zenyo)".
Par exemple à court terme :
- En individuel, le fait que les meilleurs passent du temps avec les plus en
difficultés pourrait ralentir leurs propre progressions.
- En équipe, le fait de passer plus de temps avec les plus en difficultés
amoindrit le temps passé avec les meilleurs et pourrait ralentir leurs
progressions et les amener à abandonner.
À long terme, "l'entraide
et la prospérité mutuelle (jitai kyoei)" entrainent :
- la meilleure compréhension d'une discipline
- l'aide potentiel dans le futur dans le cas d'une inversion des rôles
- l'acquisition de plus de partenaires de travail
D'autre part, "le bon usage de l'énergie (seiryoku
zenyo)" pourrait enrayer "l'entraide
et la prospérité mutuelle (jitai kyoei)".
Par exemple à court terme :
- En équipe, le fait de passer autant de temps avec tout le monde entraine
l'hétérogénéité du groupe et amène
les plus en difficulté à abandonner.
- En équipe, le fait de passer plus de temps avec les meilleurs entraînent
une très grande hétérogénéité du groupe
et amène les plus en difficultés à abandonner.
- En individuel, le fait que chacun passe tout son temps à essayer de
progresser seul pourrait limiter la progression.
À long terme, l'entraide et "le bon usage
de l'énergie (seiryoku zenyo)" entrainent :
- la meilleure compréhension d'une discipline
- la possibilité d'aider les autres
Deux aspects caractérisent une personne :
- l'épanouissement personnel : le
bon usage de l'énergie (seiryoku zenyo)
- la vie en société
: l'entraide et la prospérité
mutuelle (jitai kyoei)
Le bien être ne se trouve pas que dans l'épanouissement
personnel mais aussi dans la recheche
de l'harmonie de la vie en société.
Ainsi par exemple si le bien être passe par le respect du rythme de l'individu,
le respect des êtres qui l'entourent sont tout aussi important.
Le bien être de tous vient à la fois de la considération
de l'épanouissement personnel et de
l'harmonie de la vie en société.
Une société a besoin à la fois de traditionnelle (part innée) et de rationnelle (part acquise)
Le jùdô c'est la recherche des solutions (Chiheb, élève d'Amouroux, Avril 2012).
En conclusion, s'il y a bien un effet négatif de l'un sur l'autre à court terme, à long terme on ne peut pas obtenir l'un sans l'autre.
Ainsi, ce qu'il faut bien comprendre c'est que "en toutes choses, tout est une question de mesure" (Aristote, IVe siècle avant Jésus-Christ). "Le bon usage de l'énergie (seiryoku zenyo)" est limité par "l'entraide et la prospérité mutuelle (jitai kyoei)" et inversement.
Le kanji "jù" associé à l'expression "Seiryoku Zen Yo" revient à définir le jùdô comme un cheminement intérieur (démarche personnelle) consistant à tendre vers une ligne de conduite (normes) et un état d'esprit (dô) (valeurs) logique et rationnel (ni religion ni magie) à but pragmatique basé sur l'intelligence individuelle.