Les adolescentes dans les sports de combat

1. PUBLIC FEMININ ET SPORTS MASCULINS

A. Identité sexuée

Les combat basés sur le jùdô peuvent être considérés à la fois comme un sport masculin, un sport de contact et un sport de combat. Il s'agit donc d'un contexte particulier pour l'intégration des femmes au sein de cette pratique.

Il semble indispensable de connaître et maitriser les caractéristiques principales du public féminin afin d'être capable de proposer une pédagogie adaptée, comprendre les besoins et attentes des pratiquantes, les fidéliser et instaurer des relations saines avec elles.

"Les rôles sexués, une fois intériorisés, constituent de véritables « schémas de soi » liés au genre qui servent de filtres cognitifs pour interpréter les évènements et orienter les conduites.
Il existe quatre orientations de genre possibles (Bem, 1981 ) :
- Individus typés « masculin » : qui endossent les rôles et les traits psychologiques caractéristiques des hommes et rejettent ceux qui les caractérisent de femmes.
- Individus typés « féminins » : qui endossent les rôles et les traits psychologiques caractéristiques des femmes et rejettent ceux qui les caractérisent de hommes.
- Individus « androgynes » : qui endossent les rôles et les traits psychologiques qui caractérisent à la fois les hommes et les femmes.
- Individus « non-différenciés » : qui ne marquent pas d’appétence particulière pour les rôles et traits psychologiques caractéristiques des hommes ou des femmes"

En combat basés sur le jùdô comme pour tout autre sport, il y a autant d'attentes de la part des athlètes que de personnalités différentes.

Le choix d'une discipline résulte d'une rencontre réussie entre des dispositions particulières et les spécificités techniques et symboliques de l'activité.

De plus, chaque culture oriente et encourage certaines conduites, traits et activités considérées comme des caractéristiques propres à chacun des sexes (Cross et Madson, 1997).

Notons que souvent, exciter l'agressivité chez un homme le rendra combatif, tandis que les femmes auront davantage besoin de justificatifs, de conseils techniques et d'encouragements.

On note une différence entre pratique de loisirs et pratique en compétition :

- Loisir : L'athlète (femme) recherche du plaisir avant tout et fuit face à la souffrance. Son implication dans le cours est peu importante et sa relation à l'entraineur est peu fusionnelle.

- Compétition : On retrouve des femmes à fort caractère, qui recherchent l'effort et n'ont pas peur de se faire mal. Leur implication affective est plus forte et les échanges avec l'entraineur sont plus importants (volonté de gagner pour lui, recherche de reconnaissance de sa part, etc.)

B. Rapport au corps

Le rapport au corps n'est pas le même chez les hommes et chez les femmes, et en particulier au moment de l'adolescence.

La tenue : elle efface en partie le sexe du pratiquant. Il n'existe pas de problèmes liés au regard des autres et aux complexes que la majorité des femmes ont concernant leur apparence physique et jùdô.
À l'inverse, on ne peut pas se trouver face à des athlètes qui mettent en avant leur corps de manière exacerbée. Le corps n'est plus un outil de séduction envers les autres athlètes ou même l'entraineur.

—› Il est donc facile d'accepter cette tenue quelque soit son âge et quelque soit son sexe.
—› Le regard porté par les hommes sur les femmes un peu rondes est largement atténué par rapport à celui porté sur elles dans la rue.

Les régimes :

- Développement de comportements boulimiques
- Régimes mal gérés (perte de trop de kilos en trop peu de temps)
- Période de croissance, changement du corps et gestion du poids et des catégories
- Gestion du poids et cycles menstruels
- Lors d'un passage obligé dans la catégorie de poids supérieur (prise de poids normale chez les adolescents), un homme compensera par de la musculation alors qu'une femme voudra maigrir à tout prix.

—› Le problème de gestion du poids chez les filles n'est pas pire que celui trouvé chez les hommes (version des hommes), mais la mise en place d'un couple d'entraineurs (homme-femme) serait l'idéal. Les enseignantes estiment que ce problème est plus délicat chez les filles, à cause du culte de la maigreur diffusé dans les médias. Les enseignants n'ont pas de levier d'action sur la gestion des régimes car les athlètes racontent bien ce qu'elles veulent.

Pratique du jùdô dans les quartiers :

Les sports masculins sont privilégiés dans les quartiers, pour les femmes : valorisation de la force, l’abnégation et la douleur (itami) dans l’effort. Ces sports ne mettent pas en scène les corps, contrairement à d'autres activités, telles que la danse par exemple.

Cependant, il existe des freins d'ordre culturels : le jùdô est un sport de contact et la pratique de cette activité est généralement difficilement acceptable de la part des parents masculins (père, frère,…) en situation de mixité de sexe.
L'idéal est donc la création de sections exclusivement féminines, pour la tranche d'âge 12-16 ans. En effet, dans certains cas, les petites filles peuvent pratiquer en situation de mixité de sexe sans que cela ne pose de problèmes, et une fois adulte, celles qui se sont émancipées du contrôle des hommes, pourront pratiquer à nouveau à leur guise.

—› Il n'y a pas assez de filles dans les quartiers pour pouvoir faire des cours exclusivement féminins.
—› Ce n'est pas une bonne idée de ne faire des cours composés de femmes seulement. C'est un sport qui doit se pratiquer avec des hommes. (Je reprécise qu'il s'agit de la tranche d'âge 12-16 ans uniquement, et que rien n'empêche de proposer 2 cours : 1 avec des hommes et 1 autre entre femmes uniquement, pour laisser le choix).

2. RELATIONS HOMMES-FEMMES

A. Différences physiologiques

a. Les différences morphologiques

Jusqu'à l'âge de 12 ans, les divers paramètres physiologiques et leur évolution montrent peu de différences entre les sexes. Lors de combats entre filles et garçons, ces derniers ne peuvent donc pas (ou peu) mettre l'accent sur leur force musculaire (contrairement aux tranches d'âge supérieures) pour remporter un match.
Après la puberté, du fait des influences hormonales (œstrogènes et androgènes) et d'une réduction fréquente de l'activité physique chez les jeunes filles, les différences s'accentuent.

On constate une baisse des effectifs à cet âge. Les hommes deviennent parfois violent, préfère utiliser leur force plutôt que leur technique et n'hésitent pas à faire mal pour s'imposer.

Certaines continuerons à pratiquer et apprécieront leurs différences par rapport aux autres filles qui font des sports plus féminins "À l'école, tout le monde sait que je fais ce sport, on est que 2 dans toute l'école. On nous embête jamais!". D'autres préfèreront rejoindre leurs amies à la danse par exemple, lorsque leur corps prendra de la masse musculaire de manière trop importante ou lorsque les garçons assisteront aux galas de danse de leurs amies et jamais à leurs tournois à elles…

b. Pratique sportive et vie génitale de la femme.

Il existe actuellement 2 théories concernant les activités sportives pendant le cycle menstruel :

1) Dégradation de l'adaptation cardio-vasculaire aux exercices de forte intensité, une baisse de la force musculaire et une diminution des performances (seika) sportives,

2) Meilleures performances (seika)

"De nombreux auteurs déconseillent les exercices violents, en particulier ceux qui provoquent des contraintes importantes du périnée les deux premiers jours des règles, car à ce moment-là l'utérus est gorgé de sang et plus lourd.

Il semble cependant ne pas exister actuellement d'étude comparative de la pathologie gynéco-obstétricale chez les sportives ayant et n'ayant pas participé aux entraînements et compétitions pendant la période des règles"

Certains entraineurs éprouvent de grandes difficultés à accepter que leur athlète tombe enceinte. "Les filles sont pénibles : elles tombent enceinte et arrêtent la
pratique". Il n'est pas rare que leurs entraineurs ne les félicitent pas lorsqu'ils ont connaissance de la nouvelle.

B. Regard des hommes

a. En fonction des dispositions sexuées

"Les sportives jugées performantes, c’est-à-dire conformes au modèle de pratique masculin, sont perçues comme peu « féminines », tandis que les compétences sportives des femmes dites « féminines » sont questionnées (Laberge, 1994). Pour Suzanne Laberge, confrontées à ce choix paradoxal, les sportives négocient leur identité en fonction des dispositions de genre acquises lors de socialisations antérieures. Ainsi, au-delà de l’analyse du caractère plus ou moins «continu» ou «en rupture» de la définition sexuée de soi, il est indispensable de prendre en compte la nature (plus ou moins «féminine» ou «masculine») des dispositions sexuées des sportives pour "adapter" la relation entraineur-entrainée

 
Dominante
continuité,
dispositions
sexuées
enfantines
« féminines »
Dominante
rupture,
dispositions
sexuées
enfantines
« féminines »
Dominante
rupture,
dispositions
sexuées
enfantines
« masculines »
Dominante
continuité,
dispositions
sexuées
enfantines
« masculines »
Identité sexuée
assurée
Les « vraies »
femmes
 
Les « vraies »
femmes
 
Identité sexuée
négociée 1
 
Les femmes
« quand même
féminines »
Les femmes
« quand même
féminines »
 
Identité sexuée
négociée 2
   
Les femmes
« présentables »
 
Identité sexuée
rejetée
     
Les femmes « dans
leur tête »

- Les dispositions sexuées enfantines conformes et «préservées» des «vraies » femmes leur assurent l’estime des hommes malgré leur engagement dans un sport «masculin». Cette reconnaissance renforce par ailleurs leur croyance en un ordre « naturel» des sexes.

- Les sportives possédant des dispositions sexuées enfantines «masculines» et se définissant comme de «vraies» femmes ont «réussi» à incorporer progressivement cette définition relativement «essentialiste» des catégories de sexe et bénéficient ainsi du regard admiratif des hommes.

- A contrario, les dispositions sexuées «masculines» des femmes «dans leur tête», «activées» par des modalités de pratique «masculines», ne leur permettent pas d’obtenir l’estime des hommes. Le manque de visibilité de leur identité sexuée suscite des processus de stigmatisation qui contribuent également de manière importante à la construction d’identités jugées déviantes (par les autres) ou «particulières» (par elles-mêmes). La disjonction entre genre et sexe résulte ici de transactions biographique et relationnelle particulières.

- De la même manière, la différenciation entre les femmes « quand même féminines » possédant des dispositions sexuées enfantines « masculines » et les femmes « présentables» se joue dans l’interaction entre les processus biographiques et les processus relationnels. Les femmes réussissant à modifier de manière relativement importante leurs dispositions sexuées enfantines bénéficient d’une relative estime des hommes. À l’opposé, l’accroissement de l’incertitude quant à la reconnaissance de l’identité sexuée favorise une distance critique par rapport aux normes sexuées, et, donc, une rupture biographique moins
importante"
.
b. Place des femmes lors des Entraînements mixtes

"L'enjeu pour les hommes est un enjeu symbolique de préservation de leur statut sexuel masculin qui conduit à adopter des stratégies tacites d'évitement contrairement aux femmes qui négocient ouvertement avec leurs partenaires trop brutaux en mettant en avant leur condition féminine. Il s'agit d'une régulation autonome sexuée.
Les stratégies des femmes prennent l’apparence de négociations explicites, au contraire de celles de leurs homologues masculins qui revêtent une forme nettement plus tacite, plus implicite. Cette différence peut être interprétée au regard d’un autre enjeu de l’opposition sur le tatami : l’affirmation de soi (Arthus et al., 2000 ; Reynès & Lorant, 2003). Les stéréotypes sociaux en matière de sport, qui naturalisent encore le Masculin-Féminin (Lefevre, Fémérias & Roland, 2001), constituent paradoxalement une ressource pour les femmes au moment de négocier l’intensité de l’opposition dans l’affrontement mixte. Elles usent donc de « stratégies de légitimation » particulièrement pertinentes car s’appuyant sur les représentations de leurs partenaires (Bourgeois & Nizet, 1995). En revanche, les
hommes, préoccupés par l’affirmation d’un statut sexuel masculin et la démonstration de compétences qui semble y participer (Ashford, Biddle & Goudas, 1993 ; Li, Harmer & Acock, 1996), ont tendance à fuir les situations dans lesquelles il leur serait très difficile d’en faire la preuve. Ils usent donc de stratégies d’évitement qui ne mettent pas en péril ce second enjeu intrinsèquement lié au sexe masculin, lequel agit en somme comme une véritable limitation culturelle à leur rationalité d’acteur (Friedberg, 1994)"

Le niveau sportif modifie la position du point de vue de la hiérarchie entre les sexes. Leur niveau sportif permet d'affirmer leur autorité leur légitimité en tant que pratiquante d'une activité sportive (pour les enseignants comme pour les athlètes) et d'éviter d'être systématiquement confrontées à des hommes qui voudraient se positionner dans leur relation. Cela n'empêche pas certains hommes de considérer qu'une femme championne du monde est moins forte qu'un homme ayant obtenu le même résultat, sous prétexte que "chez les filles, c'est plus facile !".

Points clés de la pratique : soumission à la pratique et maîtrise de la souffrance.
Cela oblige les femmes à aligner leur comportement sur celui des hommes et masquer d'éventuelles défaillances. Elles doivent fournir beaucoup d'efforts pour ne pas se distinguer des hommes.
Également, elles subissent, comme les hommes, des formes de management sportif propres à la construction de la masculinité.

Les sportives sont confrontées à une « double contrainte » : maîtriser une gestualité sportive «masculine» tout en démontrant leur appartenance à la catégorie «femme» pour échapper aux processus de stigmatisation. Elles savent bien que le caractère incongru de leur pratique leur sera rappelé à la moindre faiblesse (" ici, ce n’est pas de la danse")

c. Entraineurs (hommes)-entrainées (femmes)

Jùdô : étude sur la préférence du sexe de l'enseignant auprès d'un public d'adolescents

Garçons
Filles
Peu importe
22%
15%
Un homme
78%
78%
Une femme
0%
7%

Être une enseignante semble être un plus pour la "compréhension" des attitudes des filles. Mais arrivées à l'adolescence, les filles ne parviennent plus à s'identifier à leurs professeures, car elles ne correspondent pas au modèle de la virilité, à l'image véhiculée par les sports de combat.

—› C'est davantage une relation de confidence que de séduction qui s'instaure entre une fille et une enseignante.

Questions aux entraineur(e)s en fin de présentation

Pourquoi avez-vous choisi d'encadrer un groupe de féminine ?
—› Cette responsabilité n'a pas été acceptée par réel choix : il s'agit d'un service rendu ("il n'y avait personne pour le faire"), ou de la prise en charge d'un groupe mixte. Il ne semble pas exister de véritables sections féminines et cela ne les intéresserait pas.

Constatez-vous de réelles différences entre les filles et les garçons dans la façon de s'entrainer ?
—› Il s'agit avant tout de motivation. Si elles sont motivées, elles travailleront bien et durement, tout comme les garçons. Les filles semblent plus appliquées, plus studieuses mais plus têtues.
Les filles ont besoin d'une approche différente : elles ont besoin de plus d'encouragements.
—› Selon les enseignants présents, il n'est pas nécessaire de construire des contenus spécifiques pour les filles : "Ce n'est pas une question de sexe mais de personnalité : ce n'est qu'une question de motivation". Cette théorie est soutenue par d'autres enseignantes.
—› Les enseignants ne voient pas de différence dans la relation à l'entraineur, contrairement aux enseignantes de par leur vécu … ! ? Les enseignantes notent une dimension affective plus importante dans la recherche de la performance (seika).
—› Certains enseignants admettent se laisser plus facilement amadouer par les filles que par les garçons (petites douleurs (itami) , etc.). De par leur vécu encore une fois, les enseignantes cèdent moins facilement.

Comment les entraineurs gèrent-ils la séduction dans leurs rapports à leurs athlètes féminines ?
—› Cette question a généré certains "blocages" et besoins de justifications : "nous faisons attention à ne pas ouvrir les vestiaires quand elles sont là". "Nous respectons une certaine distance physique".

Il me semble pourtant que cette dimension apparait à un moment donné dans toute relation entre une athlète et son entraineur, sans que cela ne soit malsain pour autant : l'envie de réussir pour lui, ses encouragements qui auront un effet plus important sur soi que s'ils viennent d'un autre. Cette dimension de la séduction peut être envisagée sous différents angles, sans parler nécessairement de sexualité ou de relation amoureuse à proprement parler.

Les jùdôkas peuvent-elles rester féminines ?
—› Réactions immédiates de la part des enseignantes et des mamans présentes : "Elles doivent s'épiler tout de suite, elles doivent donc assumer leur féminité tout de suite!". "Ce n'est pas parce qu'elles sont musclées qu'elles ne peuvent pas mettre de débardeur". "A haut niveau,
toutes les jùdôkas (ou presque) sont très féminines".
—› Aucune réponse de la part des entraineurs.

SOURCES :
Bernard LEE, actuellement chercheur sur le thème de la place des enseignantes en jùdô.

LENZEN B., DEJARDIN R., CLOES M., Régulation de l'opposition et mixité au sein d'une école d'arts martiaux, Rapports de recherche, STAPS, 2004.

MENESSON C., Les « formes identitaires » sexuées des femmes investies dans les sports « masculins », Sciences et motricité n°54, 2005.

MONOD H., VANDEWALLE M., Sport et médecine, Médicales Fournier, 1963.

FONTAINE P., SARRAZIN Ph., FAMOSE J.-P., Les pratiques sportives des adolescents : une différenciation selon le genre, STAPS, 2001.

GROSPERRIN J., la relation maître-élève dans l'enseignement du jùdô en France, thèse, 1997