Pourquoi les katas

LES KATA

Jigorô Kanô a créé le jùdô comme un moyen de connaissance et d'accomplissement personnels, et le Kata en constitue le guide technique et théorique. Le kata doit donc être associé à toute pratique d'entraînement. le kata est une méthode d'entraînement.

La pratique du Kata se juge à ses effets non pas sur le kata lui-même.

À la fin, votre kata atteindra le stade où vous ne saurez plus, si c'est votre corps ou votre esprit qui agit (myôwaza).

Étant une méthode d'entraînement, le kata a clairement un but éducatif. La pratique des kata, nage no kata, katame no kata, Ju no Kata, Kime no Kata, ou le Goshin-jutsu no Kata apporteront davantage à votre pratique du randori et du shiai que les seuls Nage no Kata et Katame no Kata, qui demeurent cependant essentiels.

Il y a trois façons de considérer la pratique du kata, et il importe de ne pas les confondre :

- La première est l'approche Kôdôkan par le Nage no Kata et le Katame no kata. Ces kata représentent l'esprit et les techniques du Kôdôkan. Ils sont des créations collectives représentant une norme à laquelle toute pratique de ces kata doit se conformer.

- La seconde approche prend en considération la pratique privée de toutes les variantes possibles du kata, telle qu'elle peut être abordée sous la direction d'un maître. En raison de son immense variété.

- Une autre forme de kata consiste en des formes interprétées dues aux pratiquants et aux professeurs, lorsque des situations considérées comme représentatives sont pratiquées répétitivement pour renforcer l'apprentissage de certains gestes. Ces kata n'ont rien de normé ni de traditionnel, et ils diffèrent des variantes privées en ceci qu'ils sont plus brefs et qu'ils peuvent se modifier d'une séance à l'autre. Mais ils possèdent les caractéristiques intéressantes du Kata: préarrangement, conditions idéales de résistance et de non-résistance, symétrie, et organisation sérielle.

Uchi-komi est à ranger dans cette catégorie. En spécifiant à l'avance les moindres détails, Jigorô Kanô entendait libérer l'esprit du jùdôka, minimiser son effort physique et mental, et atteindre ainsi au maximum de grâce, de sécurité et d'efficacité. le kata ne doit pas être pratiqué comme une simple cérémonie nécessaire à l'obtention d'un grade.

Le kata consistant à rechercher une amélioration technique, il s'effectue sous des conditions fixées à l'avance. Les deux partenaires sont donc en situation de collaboration et d'entraide. Mais ils doivent prendre leurs rôles respectifs au sérieux.

Tous les kata du Kôdôkan partent de situations d'attaque et de défense sincères. Tout écart par rapport à cet esprit de détermination affaiblit la valeur du kata comme outil d'entraînement. Chaque mouvement doit être fait dans l'esprit du jùdô.

Le Nage no Kata et le Katame no Kata sont une "grammaire" de base pour le jùdô Le kata en démonstration. Tori ne peut pas compenser les imperfections d'un mauvais Uke. En revanche, un bon Uke peut gommer les insuffisances de Tori. Mais comme le kata à pour but de démontrer l'esprit et les principes du jùdô, un kata présenté en démonstration doit toujours être correct et fort. Et l'ignorance éventuelle du public n'est pas une excuse pour un mauvais kata. Il arrive que l'on rate ou oublie une technique en démonstration. De telles occasions sont révélatrices du niveau atteint en jùdô. Il faut alors continuer le kata sans manifester quelque sentiment que ce soit. Une technique oubliée peut souvent être rattrapée par la suite.

Voici une anecdote à ce propos. Lors de l'exécution du Nage no Kata pour la cérémonie du nouvel an au kodokan, Toshiro Daigo, huitième dan et professeur au Kôdôkan, fut victime d'une erreur de son Uke, un septième dan, qui entama les ma sutemi waza par une attaque en coup de poing au lieu de venir saisir Tori pour tomoe-nage. Mais Toshiro Daigo sut réagir efficacement. Ne pouvant exécuter la prise de jùdôgi nécessaire à son tomoe-nage, il entra dans le mouvement de Uke et le projeta logiquement en ura-nage, qui était en principe la technique à exécuter juste après tomoe-nage. Puis il exécuta ura-nage à gauche. Ensuite seulement, il put exécuter tomoe-nage, suivi de sumi-gaeshi, qui est la troisième projection de la série. Mais l'intensité de ses actions réflexes et la profondeur de son jùdô étaient telles, et sa réaction fut si bien coordonnée, que de nombreux spectateurs crurent d'abord que tomoe-nage avait eu lieu normalement. Ce ne fut que lorsque tomoe-nage fut ensuite exécuté qu'ils réalisèrent ce qui s'était passé.

Voilà un exemple de perfection technique en jùdô. Pour la démonstration, les deux partenaires doivent être de taille assortie. Ils doivent s'entraîner ensemble à l'avance. Contrairement à ce que nous avons dit pour l'entraînement, Il n'est plus question que Tori ne soit pas toujours vainqueur, qu'il ne parvienne pas à projeter Uke ou que Uke parvienne à échapper à son contrôle. Pourtant, rien ne serait pire qu'un kata mort ou tout semblerait joué d'avance, ou Tori manquerait de contrôle et ou Uke manquerait d'engagement physique ou paraîtrait contribuer à sa propre défaite.

Si le kata doit avoir lieu devant un public profane, il est bon de le faire commenter par une personne compétente. Le kata doit etre travaillé avec des partenaires de toutes tailles. En effet, shiai et randori se travaillent aussi avec des partenaires de tailles diverses.

Lors des démonstrations Uke sera légèrement plus grand que Tori, pour faciliter l'exécution des techniques et pour mieux démontrer l'esprit de self-défense. La pratique des kata peut se faire sous la forme : D’uchi-komi en répétant qu’une partie du kata (la méthode des répétitions). Dans le Nage no Kata, il faut faire la technique des deux côtes (droite et gauche). On peut travailler ainsi les séries séparément, avec ou sans chute. Cette méthode aide beaucoup dans les débuts, et chaque fois que surgit un problème technique. Elle est également recommandée pour la préparation d'un démonstration.

La pratique peut se faire sans partenaire cela permet des progrès plus rapides. En tenant de nombreuses fois les deux rôles, chaque partenaire acquiert des mouvements mieux enchaînés. Chacun peut se concentrer sur ce qu'il fait sans être perturbé par les erreurs d'un partenaire.

Un miroir aide à percevoir et à corriger les défauts La pratique peut se faire sans les projections. Le kake ou le kime peuvent devenir indésirables dans certains cas: jùdôkas blessés, tapis inapproprié ou manque de place. Tori amène Uke jusqu'à la position finale et s'arrête juste avant de conclure. Dans ce cas, Uke n'effectue pas la chute dans le Nage no Kata ni ses essais de sortie et le maita dans le Katame no kata. Dans les sutemi-waza, Tori peut s'arrêter avant l'action de sacrifice, ou l'effectuer après avoir relâché Uke. Les débutants peuvent aussi avoir recours provisoirement à cette méthode (méthode de la forme seule). Le Katame no kata ne se pratique normalement qu'à droite, tandis que le Nage no Kata se pratique à droite et à gauche. Mais il peut être justifié de changer ceci en cas d'incapacité physique provisoire ou de problème technique à résoudre d'un seul côté, qu'il s'agisse de Uke ou de Tori. Dans le Katame no kata, il est bon de pratiquer aussi du côté gauche pour éviter qu'il ne devienne plus faible (méthode d’un seul côté). Il y a aussi la possibilité de pratiquer des formes interprétées. Dans cette méthode, c'est le pratiquant ou son entraîneur qui choisit la technique à interpréter. Chacun fixe sa norme. peu importe la technique pratiquée, et si la pratique est individuelle ou collective. Seul compte le fait d'opérer à la façon du kata, Uke sachant à l'avance ce que vous allez faire ce qu'il doit faire lui-même.

Imaginez par exemple que vous vouliez travailler hiza-guruma, tai-otoshi ou hane-goshi : aucune de ces techniques ne figure dans le kata, mais vous pouvez améliorer vos résultats en élaborant des figures qui vous semblent appropriées.

Les formes interprétées peuvent aussi faciliter l'étude des enchaînements (renraku-henka-waza) que l'on aborde à un niveau plus avancé du jùdô. Supposez que vous vous intéressez aux combinaisons de ko-uchi-gari, o-uchi-gari, et tai-otoshi: vous pouvez les étudier comme des formes interprétées dès que vous les connaissez suffisamment bien séparément, avec l'aide d'un Uke qui limite ses déplacements à ce qui lui a été prescrit à l'avance. Les déplacements associés à la projection peuvent être aussi bien du genre tsugi-ashi que ayumi-ashi, et ils peuvent être longitudinaux, latéraux ou circulaires; l'avantage du déplacement s'ajoute à la répétitivité de l'uchi-komi.

L'uchi-komi peut être considéré comme une forme interprétée. Les techniques de contrôle peuvent s'étudier par la méthode des formes interprétées: Tori exécute une série de formes d'entrée, conduisant à une technique non représentée dans le Katame no kata. On peut aussi avec profit répéter les enchaînements au sol ou les enchaînements debout-sol, Uke se défendant selon des mouvements préarrangés ou non. À partir de techniques placées par Tori, Uke peut aussi travailler ses sorties selon des formes préarrangées. Avec les formes interprétées, les premières leçons de jùdô qui sont parfois ennuyeuses, peuvent sembler plus vivantes. Le salut, les déplacements, la façon de s'asseoir, de s'agenouiller ou de saisir le partenaire peuvent être étudiés de cette façon, qui apporte des savoirs fondamentaux, tout en préparant à l'étude future des kata classiques. Les formes interprétées donnent en outre de la souplesse dans l'emploi de la force. Comme elles sont personnalisées, elles ne se prêtent en revanche pas à la démonstration, sauf comme exemple de méthode d'entraînement.

De nombreux maîtres ont développé des kata intéressants et utiles.

Ainsi particulièrement le Nage Ura no Kata du regretté Kyuzo Mifune, qui enseigne une série de contre-prises souvent rencontrées dans le randori et le shiai. Ce kata s'adresse aux pratiquants avancés, et il se prête admirablement à la démonstration.

Le kata comme exercice de préparation, le kata demande des efforts modérés et symétriques, il peut être utilisé comme échauffement ou comme exercice de retour au calme après l'entraînement.

Le "baromètre du jùdô", fait la liste des attitudes possibles à l’égard du kata, dans l'ordre des prises de conscience successives:
Degré zéro: ignorance de l'existence du kata
1 : sait que le kata existe mais ne s'y intéresse pas. Refuse de l'étudier ou de le pratiquer.
2 : ne s'intéresse pas au kata. Ne l'étudie que sur injonction.
3 : ne pratique le kata que dans le but de passer un grade.
4 : pratique le kata spontanément, mais sans savoir à quoi cela sert.
5 : s'intéresse de près au kata, mais ne le pratique qu'occasionnellement.
6 : s'intéresse de très près au kata et pratique de temps en temps.
7 : a conscience de l'utilité du kata et l'étudie régulièrement.

Situez-vous vous-même sur cette échelle : si vous êtes en dessous de la ligne 3, le présage est mauvais pour votre jùdô.

Un bon kata ne consiste pas seulement en un certain nombre d'actions physiques correctes. C'est l'attitude mentale des deux partenaires qui réalise le kiai, ou union des esprits. Là réside l'essence du kata. Il s'agit d'un flux d'énergie mentale, très perceptible lorsqu’on assiste à une démonstration de qualité.

Uke comme Tori doivent manifester leur "ki", ou énergie mentale. L'attitude extérieure est de calme, de vigilance tranquille et de confiance en soi. Votre Ki et celui de votre partenaire s'unissent et se fondent en kiai, qui induit à son tour un état mental appelé Muga-mushin. Cet état ne s'atteint toutefois qu'au terme d'une longue expérience. Muga-mushin signifie "pas de moi, pas de pensée". C'est un état d'indifférence qui libère de la conscience des actions accomplies. Dans cet état, l'esprit résout les problèmes de façon pour ainsi dire automatique, d'où son importance en self-défense et en jùdô.

Le kata est la première façon pour un jùdôka de faire du jùdô dans un état d'ignorance des actions précises qu'il est en train d'accomplir. Un jùdôka est un expert lorsqu’il atteint ce stade. Le kata affine l’esprit, lui permet d’exécuter des actions plus vite que la pensée elle même; de cette façon, l’art devient un « art sans art ».